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La souveraineté numérique doit être pensée à l’échelle de l’Humanité

mai 2014 par Emmanuelle Lamandé

Quelle souveraineté un Etat, un citoyen ou une entreprise peut exercer sur ses données, et plus largement sur sa propriété intellectuelle, dans un monde globalisé et en réseau ? Peut-on d’ailleurs encore parler de souveraineté à l’heure du numérique ? Si oui, ne doit-elle pas être pensée à l’échelle de l’Humanité ? Autant de questions débattues à l’occasion des premières Assises de la Souveraineté Numérique, organisées par la société Aromates, sous l’égide de Corinne Erhel, Députée des Côtes d’Armor, et Laure de La Raudière, Députée d’Eure-et-Loir.

« Le Cloud change nos vies et nos usages quotidiens en nous apportant de merveilleux services. Mais les données que nous lui confions tendent aussi à nous échapper par manque de clairvoyance et de vigilance, et avec elles un peu de notre indépendance, un peu de notre liberté, mais aussi, et surtout beaucoup de notre propriété intellectuelle et, enfin, du contrat social qui fait le ciment de notre vivre ensemble », explique Jacques Marceau, Président d’Aromates, Organisateur des Assises de la Souveraineté Numérique 2014. « Nous devons prendre les dispositions qui nous permettront de reprendre la main sur le cyberespace avant que d’autres ne le fassent à notre place. Le numérique doit rester une promesse ».

L’intensification des communications a apporté un accroissement des libertés, de l’éducation..., souligne Blandine Kriegel, Philosophe, Professeur des universités. Les informations sont désormais accessibles à tous sur la Toile. Le déploiement et la multiplication des échanges numériques ont, en outre, entraîné certains changements politiques forts (Printemps arabe...). Toutefois, cette liberté accrue par le numérique s’accompagne aussi d’une augmentation des risques, y compris liberticides. La souveraineté est aujourd’hui menacée. Ce n’est plus seulement le pouvoir des états, mais également le pouvoir de décision des individus sur leurs propres vies qui est actuellement remis en cause.

La souveraineté a-t-elle encore un sens dans un monde globalisé ?

Toutefois, à l’heure du numérique, le concept de souveraineté doit être repensé et réinventé, afin de lui donner une dimension plus vaste, allant au-delà des frontières », explique Corinne Erhel, Députée des Côtes d’Armor. C’est un sujet qui doit aussi être pensé au niveau européen. La souveraineté numérique ne signifie pas le repli sur soi, et ne doit pas faire l’objet d’une conception restrictive. L’objectif n’est donc pas de parler de protectionnisme, mais de faire émerger une offre de qualité aux niveaux national et européen. Car dans le domaine du numérique, la bataille se gagnera sur l’innovation et la qualité des offres.

Il est, de plus, nécessaire de trouver le juste équilibre entre le respect de la vie privée, le secret des affaires et le formidable levier de croissance que représente le numérique. Nous devons développer de nouveaux moyens de garantir cette souveraineté, et adopter une démarche collective, encourageant l’innovation. À nous, en Europe, d’avoir les moyens et les actions, accompagnés d’audace et d’innovation.

Effectivement, nous devons aussi accepter d’organiser la souveraineté du numérique à son échelle, c’est-à-dire en dehors du concept de frontières, au travers d’une approche internationale, reprend Blandine Kriegel. Il faut un droit international public du numérique, et une autorité de régulation est également nécessaire à l’échelle internationale. La souveraineté a encore un sens dans le domaine du numérique, c’est l’échelle qui est différente. Nous avons besoin d’une force et d’une puissance, mais il faut repenser la notion de souveraineté, et y réfléchir à l’échelle de l’Humanité.

Souveraineté numérique : quelle place pour la France ?

Pour Didier Renard, Président Directeur Général de Cloudwatt, la France a déjà perdu sa souveraineté, la question est de savoir si elle peut la reprendre. « Nous sommes actuellement dans une logique de reconquête. C’est un enjeu de sécurité nationale à court terme, mais aussi de création de valeur et d’emplois sur le long terme ».

Malgré des compétences très fortes en France, nous sommes passés à côté de ce que nous aurions pu faire dans le domaine du numérique, par exemple en ce qui concerne la 4G, observe Marc Charrière, Directeur des affaires publiques, Alcatel-Lucent, et vice-président innovation du syndicat professionnel GITEP/FIEEC. Toutefois, nous avons, selon lui, encore notre rôle à jouer dans certains domaines : le très haut débit fixe et mobile, le développement de la 5G, les infrastructures sécurisées, ou encore la virtualisation des réseaux. L’Internet des objets est également un créneau porteur et donc une opportunité à saisir en France, complète Pierre Paperon, Directeur de la stratégie, Cloudwatt. Les français et les européens ont un rôle à jouer sur cette problématique là.

Nous avons les compétences en France et la capacité de fournir des services, estime Pascal Thomas, Président Directeur Général, Mappy, et Directeur New Media, Solocal Group. Après il faut aussi pouvoir encadrer le développement de ces services par une politique et des mécanismes de financement appropriés. L’un des principaux écueils de la France repose sur son modèle de fiscalité, notamment numérique, et de financement de l’innovation, qui ne favorise pas le maintien de nos cerveaux et savoir faire sur le territoire national.

Sans compter que la concurrence mondiale est féroce dans le domaine du numérique, complète Olivier Babeau, Professeur à l’université Paris VIII, obligeant les états et les entreprises à fonctionner par l’incitation pour faire rester les compétences et l’innovation sur leurs territoires. Selon lui, il faut que l’état fasse le deuil de sa toute puissance centralisée. La réponse ne doit, en effet, pas être franco-française, mais supranationale. Il faut prévoir des règles supranationales, revoir la question de la fiscalité numérique…

Vers une « data-éthique » ?

La problématique de l’éthique serait, selon Marc Mossé, Directeur des affaires juridiques et publiques, Microsoft France, la question structurante du devenir du numérique. « La souveraineté, ce n’est pas celle des frontières, c’est celle de la garantie des droits… » La notion de « data-éthique » est une question civilisationnelle qui doit pouvoir réunir les différents acteurs, y compris institutionnels.

Le numérique est avant tout un sujet de confiance, observe Muriel Barnéoud, Administrateur de Syntec Numérique, Président Directeur Général de Docapost, Groupe La Poste. L’intérêt de l’éthique est que bien souvent elle précède les lois et apporte une hygiène de vie collective. C’est un aspect fondamental, surtout dans un monde numérique, régi par la vitesse et la puissance des usages.

Pour Christine Balagué, Vice-présidente libertés et droits fondamentaux, Conseil national du numérique, titulaire de la Chaire « réseaux sociaux » à l’Institut Mines-Télécom, le problème est que le temps de la régulation ne correspond pas au temps de l’innovation, d’où l’importance de l’éthique.

« La question est de savoir dans quelle société numérique nous voulons vivre. Il faut que l’éthique soit au centre d’un débat national et européen. Nous pouvons agir au niveau européen et développer une pensée de la société numérique dans laquelle nous voulons être. Nous avons en France des penseurs, des ingénieurs…, et la France pourrait d’ailleurs être le leader de cette pensée et la porter au niveau européen. Il faut, en outre, une politique industrielle adaptée. On peut y arriver, mais il faut se mobiliser pour cela. Nous travaillons aussi actuellement au niveau de la recherche, sur la sensibilisation et l’implication des chercheurs en amont dans la chaîne de valeurs ».

« Tout comme le parlement s’est emparé des questions de bioéthique, nous devrons, sans tarder, définir un cadre et des règles de « data-éthique » propres à la France et à l’Europe. Il est en effet urgent que nous prenions conscience de ces nouveaux enjeux pour que notre pays soit prêt à défendre nos valeurs et construire la société dans laquelle nous voulons vivre demain », souligne Laure de La Raudière, Députée d’Eure-et-Loir, Co-présidente des Assises de la Souveraineté Numérique 2014. Il est, à titre d’exemple, essentiel que l’utilisateur puisse récupérer ses données lorsqu’il le souhaite, mais aussi de penser à des techniques d’anonymisation des données...

Quelle régulation pour les données ?

Pour Alain Bazot, Président, UFC - Que Choisir ?, il faut fixer des principes, concernant les droits fondamentaux de l’utilisateur : son droit d’accès ou de contrôle de ses données. Il faut que l’utilisateur puisse modifier ou supprimer ses données à tout moment. De plus, celles-ci ne doivent pas être rendues accessibles à un certain nombre de personnes sans consentement exprès de l’utilisateur. Ces différents aspects doivent être intégrés par défaut dans les paramètres des services proposés au consommateur. Après s’il souhaite accepter de donner telle information à telle société, ce doit être en toute connaissance de cause. La Security by Design et la Privacy by Design ont en ce sens leur rôle à jouer dans les années à venir et les innovations futures.

L’économie de la donnée est complexe aujourd’hui, remarque Pierre-Jean Benghozi, membre du Collège, ARCEP. On assiste à une multiplicité et valorisation de la donnée. Parmi les lignes directrices à adopter, il souligne la nécessité de dépasser une fragmentation des données qui conduirait à une faible transparence, mais aussi une intégration trop forte, afin d’éviter que seuls quelques gros acteurs aient la mainmise sur ces données.

La CNIL est un moyen de rééquilibrer ce rapport de force et de veiller au respect de la vie privée, explique Eric Peres, vice-président de la CNIL. C’est aussi au législateur de prendre des mesures. « La régulation, telle que nous la définissons à la CNIL, peut être un élément de différenciation compétitif. La régulation est nécessaire, cependant elle sera sans effet s’il n’y a pas aussi un travail au niveau européen avec le G29 ». Pourquoi pas de la régulation, encore faut-il se demander pour quelle nécessité, quel effet et par quel biais, estime Olivier Fréget, Avocat. Cet appel continuel à la régulation, sans se demander pourquoi, ne servira à rien. Il est donc essentiel de se poser au préalable la question suivante : avons-nous vraiment besoin de régulation ? Si oui, pour quoi faire ?

Quoi qu’il en soit, nous devons faire en sorte qu’il y ait de la loyauté et de la transparence dans le monde numérique de demain, conclut Alain Bazot.


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