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La démocratie des crédules ou l’art de propager les rumeurs...

avril 2013 par Emmanuelle Lamandé

Le poids de la rumeur, connue pour être le « plus vieux média du monde » [1], n’est pas nouveau. Aussi, l’être humain est habitué depuis la nuit des temps à en faire les frais. Mais comment des faits imaginaires ou mensongers arrivent-ils à se diffuser, à emporter l’adhésion des publics, et même à façonner une partie du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui ? La libre circulation de l’information n’aurait-elle pas dû au contraire nous enlever nos œillères et nous faire voir la vérité au plus juste ? Autant de questions auxquelles le sociologue Gérald Bronner tente de répondre dans son ouvrage « La démocratie des crédules » [2]. Invité à l’occasion de la Matinale du Cercle de la Sécurité, il explique ainsi comment les conditions de notre vie contemporaine se sont alliées au fonctionnement intime de notre cerveau pour faire de nous des dupes !

Pendant longtemps, les être humains sont restés dans un format hétérodoxe de l’information, c’est-à-dire informel, passant notamment par le bouche à oreille. Une tendance qui changera quelque peu avec l’arrivée de la scripturalité et l’incarnation des idées par l’écriture. L’imprimerie a, quant à elle, permis de rendre massive la diffusion de l’information. Ce fût, dans un premier temps, le cas avec des ouvrages de référence, tels que la Bible. Puis, nous avons assisté au 19ème siècle à une libéralisation du marché de l’information, avec le développement de toutes sortes de journaux d’informations. Le marché de l’information est ainsi rentré dans une logique orthodoxe, régie par quelques médias traditionnels. Au fil des ans, le message s’est peu à peu affranchi de son aspect matériel, avec l’arrivée de la radio et de la télévision… un phénomène ayant pour conséquence une augmentation de la pression concurrentielle sur ce marché de l’information. L’avènement d’Internet, et la croissance incessante du nombre d’internautes, n’a fait qu’accentuer la massification de la diffusion de l’information à partir des années 2000. Et cette transformation majeure ne pouvait laisser indemne la façon dont transite l’information sur le marché public.

Internet : un véritable incubateur de mythologies contemporaines

Aujourd’hui, n’importe qui peut s’exprimer et diffuser de l’information via les blogs, les réseaux sociaux… Les conséquences de ce phénomène sont révolutionnaires. Les portes du marché de l’information, auparavant gardées par les journalistes, les commentateurs…, sont désormais grandes ouvertes à tout un chacun, mais aussi aux rumeurs les plus folles. Pour Gérald Bronner, nous évoluons actuellement dans un monde où règne la « démocratie des crédules ». L’information est caractérisée par une certaine labilité, c’est-à-dire l’instabilité du message.

Il cite, à ce sujet, les travaux d’Allport et de Postman sur le poids de la rumeur. Leurs recherches sur le bouche à oreille révèlent qu’une image de base est généralement déformée par les stéréotypes dans la description que s’en font les personnes entre elles. Il ne faut ainsi en moyenne que six à sept personnes pour atteindre une déformation de l’image de base. Ce phénomène s’inscrit dans ce qu’il appelle le « sillon de dépendance narratif ».

A l’heure actuelle, le marché orthodoxe de l’information se retrouve pris dans une forme de dilemme poussé par le marché hétérodoxe de l’information. Ce dernier diffère toutefois de ce qu’il était autrefois :
 Aujourd’hui, les rumeurs tout comme les théories du complot s’affranchissent de l’instabilité du bouche à oreille. En effet, contrairement à avant, elles s’accompagnent désormais de sérieux arguments et s’inscrivent dans le temps, ce qui permet de les rendre d’autant plus « crédibles ». Par exemple, en ce qui concerne la théorie du complot des attentats du 11 septembre 2001, les arguments s’avèrent particulièrement techniques et étayés, bien que faux. Ce phénomène crée ce qu’il appelle des « millefeuilles argumentatifs », qui rendent crédibles l’information, car nul ne peut démentir l’intégralité des arguments, laissant par là même une impression de suspicion sur le long terme.
 En outre, la diffusion de l’information est actuellement extrêmement rapide. Avant les informations étaient traitées par les médias officiels, et la disjonction existant entre le marché officiel et officieux ralentissait la diffusion de l’information. Mais ce n’est plus le cas avec Internet, qui s’avère être un véritable incubateur de mythologies contemporaines.

Les entreprises doivent s’inscrire dans une démarche de marketing cognitif

Comment une entreprise peut-elle faire face aux rumeurs et autres informations diffusées sur sa marque ? Avant, la communication d’une entreprise consistait surtout à avoir accès aux « gatekeepers », et avoir de bons attachés de presse. Aujourd’hui, on ne peut plus contrôler la source des informations.

Pour lui, la situation d’hostilité qui peut régner entre deux entreprises n’est pas la plus dangereuse, ni la plus fréquente. Le plus dangereux reste issu d’actes spontanés qui vont prendre pour cible une entreprise, comme celui ayant récemment touché Findus au sujet de la viande de cheval. Cette société s’est retrouvé au cœur d’un scandale, dont elle n’est ni à l’origine, ni la seule concernée. Une situation qu’il juge d’ailleurs « disproportionnée » par rapport au peu de réactions des foules suite à la contamination de la farine de sarrasin bio peu de temps auparavant. En effet, dans le cas Findus, nous n’étions pas en présence d’une crise sanitaire, pour ce qui est de la farine de sarrasin si. Il faut croire que l’univers du « bio » bénéficie d’une bonne réputation, peu importe qu’il y ait intoxication...

Face à ce phénomène, plusieurs aspects doivent être pris en compte : la densité de l’argumentation, la rapidité de l’information et la transparence. Chaque entreprise doit également faire le tour narratif de sa marque. Il existe, en effet, pour toute forme d’activité humaine un sillon narratif important qu’il convient de connaître. Les illusions mentales et les biais narratifs se retrouvent chez chacun d’entre nous. Ces derniers nous conduisent parfois vers des erreurs systématiques. L’intuition pousse également l’esprit humain à ne pas se méfier suffisamment des informations données, et à souvent lire entre les lignes. Ces dispositions mentales ont toujours existé. La différence repose aujourd’hui dans le passage du côté « intime » de ses erreurs à leur aspect public.

Le marketing cognitif, sur lequel s’appuient désormais certaines entreprises, consiste d’ailleurs à essayer de customiser un produit, afin de le rendre « acceptable » pour le cerveau humain, en prenant en compte ces sillons cognitifs.

Pour conclure, force est de constater que personne ne peut aujourd’hui maîtriser la source de l’information. Outre l’importance de la veille réputationnelle, la solution se situe, selon lui, dans le labyrinthe de l’information, et dans la façon dont une entreprise peut penser la customisation de ses produits pour qu’ils aient un impact plus fort. Il est essentiel pour les entreprises de s’inscrire dans une démarche de marketing cognitif, afin d’optimiser la protection de leur e-réputation.


[1] Citation de Jean-François Revel

[2] http://www.puf.com/Autres_Collections:La_d%C3%A9mocratie_des_cr%C3%A9dules


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