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L’interopérabilité contre la haine

juin 2019 par La Quadrature du Net

Ces dix dernières années, Internet s’est métamorphosé, laissant entrevoir pour La Quadrature de nouveaux combats à mener. Les quelques gros acteurs qui se sont emparés du Web ont fait émerger un nouveau problème : celui de l’organisation politique des médias sociaux. À ses débuts, Internet s’était construit comme un outil de partage des connaissances et d’entraide. Quiconque, isolé dans un problème spécifique, s’est mis à pouvoir s’appuyer sur les expériences et conseils de personnes dans le même cas. Qu’il s’agisse simplement de problèmes techniques ou de problèmes de société, de discrimination, de santé, etc. Internet est a pu être utilisé comme un outil pour sortir de l’isolement, pour s’émanciper, pour visibiliser des minorités et est devenu un point d’appui aux mobilisations. Des protocoles standardisés permettaient à quiconque de mettre en place sa plateforme et de communiquer avec les autres personnes.

Les géants du Web, y trouvant une nouvelle source de pouvoir, se sont constitués en tant qu’intermédiaires et se sont fait symboles de ces nouveaux modes de communication. À leurs débuts, ils remplissaient encore un peu ce rôle. Ils étaient en quête de nouveaux yeux à qui afficher leurs publicités. Il était possible, depuis Facebook, de communiquer avec quelqu’une ne possédant pas de compte grâce au protocole libre XMPP utilisé par sa messagerie. On pouvait importer ses contacts Facebook dans son répertoire Google via le format vCard. L’API de Twitter était ouverte, permettant gratuitement à qui le voulait d’expérimenter le réseau social sous d’autres jours.

Les groupes d’entraide sur Facebook fleurissaient, permettant aux personnes LGBT, aux sans-papiers, aux personnes atteintes de maladies rares d’unir leurs forces.
Les nouvelles rencontres sur Twitter faisaient apparaître de nouveaux fronts et de nouvelles méthodes de lutte.

En 2013, Twitter ferma son API, en 2015 Facebook cessa d’utiliser un protocole ouvert pour sa messagerie et en quelques années, les géants se refermèrent sur eux-même et cessèrent de communiquer, même entre eux. Ils n’avaient plus de raisons de permettre de communiquer avec l’extérieur, « tout le monde » était déjà là, prisonnier et ne pouvant s’échapper sous peine de voir un pan de sa vie sociale disparaître.

Les géants auraient pu se contenter de cette simple cage dorée, mais ils voulaient toujours plus d’argent. C’est ainsi qu’ils ont développé, sans aucun égard pour nous, leurs utilisatrices, des algorithmes millimétrés pour optimiser l’impact de la publicité sur notre cerveau (Lire notre article « Pourquoi attaquer Facebook »), en se servant du contenu même de nos communications. Visibiliser les contenus choquants, déclencheurs d’émotions, nous fait rester plus longtemps sur le service et nous pousse à en partager à notre tour pour entraîner nos relations dans la consommation de contenus. Ils ont fait naître la culture du buzz, nous poussant à user nous-même des rhétoriques de l’attention : contenus choquants, clivants, violents. Les géants ont fait du conflit et de la haine un moteur de croissance.

Aujourd’hui, tout le monde s’offusque. La « haine sur Internet » est devenue un sujet à part entière et même un sujet législatif. Au lieu de retracer l’histoire de l’explosion des propos violents en ligne, d’analyser ses mécanismes de mise en avant, la majorité gouvernementale se demande encore comment faire pour sauver ce modèle mortifère. Et comme à son habitude, en témoignent les dernières lois européennes (lire notre article bilan sur le règlement terroriste et la directive copyright), les réflexes de nos dirigeants sont :

1. de déléguer la mission de protéger les victimes aux géants du Web, les mêmes qui capitalisent sur la promotion de la haine (lire notre article sur les pompiers pyromanes)
2. de censurer suffisamment pour rendre la violence, les désaccords et les oppositions invisibles.

Une passerelle pour se libérer

Aujourd’hui, le navire coule. On reste sur ces plateformes pour ne pas perdre nos contacts , mais la force émancipatrice des débuts est en voie de disparation. Les mouvements sociaux parviennent difficilement à éviter la censure de Facebook, Twitter est devenu un outil efficace pour harceler les personnes transgenres, de confession musulmane, etc. Chacun se défend tant bien que mal, par exemple, grâce à des listes de blocage que l’on se partage. Il est temps de reprendre la main sur la modération en se libérant des géants.

L’interopérabilité garantit à tout le monde de ne pas se trouver captif d’une plateforme : de pouvoir librement la quitter, sans perdre ses liens sociaux, et de continuer à communiquer avec ses contacts. L’interopérabilité permet à quiconque de lire depuis un service A les contenus diffusés par ses contacts sur un service B, et d’y répondre comme si elle y était.

Échapper à l’emprise des géants sans rompre le lien avec nos proches. Si Facebook était interopérable, nous pourrions parler à nos proches qui ont fait le choix d’y rester, et ce depuis un autre service : qu’il soit libre, comme Mastodon et Peertube, ou non.

L’avantage de pouvoir se soustraire à la façon dont les géants organisent nos échanges est que l’on peut échapper à la sur-représentation des contenus choquants et déclencheurs d’émotions impulsé par le modèle économique des géants pour les retrouver dans leur proportion organique voir les limiter encore plus. Nous échapperions par la même occasion à l’incitation d’être soi-même choquants dans nos propos puisque les règles de diffusion de contenus ne récompenseraient plus particulièrement ces pratiques.

Il est temps d’arrêter de croire que la planète entière doit être enfermée dans la même boîte en permanence, sous une modération dictatoriale et unique. La part du réseau global avec laquelle on communique sur Facebook est si infime que son immensité ne sert qu’à nourrir le fantasme de la communication avec n’importe-qui-partout-dans-le-monde, qui est en réalité bien loin des usages que l’on a du réseau.

La décentralisation des médias sociaux n’entraînerait aucune perte de communication et donnerait aux personnes le choix de la modération à laquelle elles se soumettent. Il serait beaucoup plus aisé, pour des minorités victimes de harcèlement, de construire un lieu ouvert sur l’extérieur, mais ne laissant passer aucun contenu oppressant, s’ils avaient la main sur la modération de cet espace. De la même manière, se développeraient des espaces d’expression libre à même de recevoir les débats les plus virulents et les plus franches oppositions.

Savoir à qui on confie le pouvoir de nous informer, la gestion de nos interactions sociales en ligne et aux passage nos données personnelles est une question de pouvoir politique : cessons de céder ce pouvoir aux géants, construisons nos propres espaces avec nos propres règles.


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