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François Lavaste, président de Netasq : La Société Européenne existe-t-elle vraiment ?

juin 2009 par François Lavaste, président de Netasq

Les nouvelles technologies, parmi les secteurs économiques connaissant les croissances les plus importantes ces 15 dernières années, ont très peu d’acteurs européens de taille mondiale si ce n’est l’allemand SAP, les français Dassault Système, Ubisoft et quelques groupes anglais tels Sophos ou Sage. Pourtant les entreprises européennes possèdent les connaissances et les technologies pour être compétitives sur le marché mondial face aux sociétés américaines en particulier.

Cela nous amène à nous demander quels sont les freins à l’expansion de nos entreprises européennes ? Pourquoi, alors que depuis 30 ans l’Europe mène l’intégration de ses marchés (accords de libre circulation des biens et services puis des capitaux et enfin des personnes), elle se trouve encore dans l’impossibilité de distinguer un champion européen face à l’hégémonie américaine ?

La première des réponses est qu’il n’existe tout simplement pas d’entreprise ayant pour marché domestique l’ensemble de l’espace économique européen car les règlements et cadres législatifs communautaires ne sont pas suffisamment avancés pour permettre un tel développement. Vient ensuite le problème du financement, malgré les concentrations actuelles en Europe, les financements pan-européens restent rares et souvent dédiés à des programmes macroéconomiques plutôt que tournés directement vers les entreprises en développement.

À un marché européen devraient théoriquement correspondre des entreprises européennes. La création du statut de Société Européenne (« Societas Europaea" ou SE) en 2001 (entré en vigueur en octobre 2004) a pour objectif principal la mise en commun d’activités déjà existantes au sein de pays membres de l’Union et la création de filiales communes relevant du droit communautaire. Cette nouvelle forme juridique a pour but d’assouplir les contraintes liées a l’exercice d’une activité au sein du marché commun en réduisant les coûts administratifs et en évitant les contraintes liées à la multiplicité des cadres juridiques nationaux.

Pourtant, à y regarder de plus près, ils restent de nombreux écueils à l’apparition de sociétés réellement à l’échelle de l’Union. Dans un premier temps, ne sont pas concernés par ce règlement tous les domaines relevant de la fiscalité, de la concurrence, de la propriété intellectuelle ou de l’insolvabilité. Par conséquent, il faut ajouter au droit communautaire (et donc à sa transposition nationale avec toutes les différences qu’il peut y avoir entre pays membres) duquel relève la SE, tous les éléments de droit national relatifs à ces domaines. Tout cela entraine une surcharge pour les entreprises devant multiplier les commissaires aux comptes, les processus fiscaux etc.

Selon moi, le principal avantage de ce nouveau statut est la possibilité de transférer le siège statutaire d’un pays membre vers un autre sans avoir à dissoudre la société originelle, mais l’on comprendra rapidement les difficultés que cela peut entrainer en cas de politique fiscale agressive de la part de certains pays, le dumping fiscal ayant cours au sein de l’Union de la part de pays comme le Royaume-Uni ou l’Irlande pour ne citer qu’eux. Même si cela se révèle intéressant à court terme, cela reviendrait à déshabiller Jacques pour habiller Paul.

Cela décourage tout développement européen pour les sociétés de taille moyenne. Imaginons qu’une société française ait atteint une taille critique sur son marché domestique et cherche à s’internationaliser ; le marché européen semble à première vue intéressant ; taille équivalente au marché américain, libre échange et libre circulation, pourtant, il s’agit avant tout d’une mosaïque de cultures, de langues et de façons de travailler , ce qui nous oblige à adapter à chaque pays , ce qui est couteux et difficile à gérer en termes de management. Pour cette raison, le modèle de développement le plus largement répandu au sein des entreprises européennes de taille moyenne est dans un premier temps une croissance sur le marché domestique puis une entrée sur le marché américain. Celui-ci, grâce à un cadre stable, un marché de taille conséquente et une culture de l’innovation permettant aux entreprises de taille moyenne de se développer apparaît en fin de compte comme plus attractif. Pourtant le revers de la médaille pour nos entreprises est qu’en s’installant aux Etats-Unis, elles s’exposent à des risques financiers très importants. Il existe nombres d’exemples d’échecs cuissants et couteux de ce qu’on appelle parfois « l’aventure américaine » d’entreprises européennes.

Un autre problème que rencontrent les entreprises de taille moyenne, surtout en cette période d’assèchement des flux financiers, et qui s’il ne se révèle pas fatal peut entrainer de graves difficultés ou à tout du moins freiner la croissance des sociétés, est la difficulté pour les entreprises de trouver des financements. Les entreprises innovantes doivent faire face dans un premier temps à la fébrilité des investisseurs face à la nouveauté, leur peur de ne pas récupérer leur mise mais aussi aux problèmes de taille des capital riskers européens qui agissent principalement à l’échelle nationale. En effet, ces capital riskers sont particulièrement bien adaptés aux start-up mais à partir d’une certaine taille, les entreprises innovantes européennes ne peuvent plus se tourner vers eux mais ne peuvent pas non plus se tourner vers les sociétés d’investissement américaines qui elles, les jugent encore trop petites pour être attractives. La solution serait ici la création, à travers une société européenne, de sociétés d’investissement paneuropéennes.

L’autre moyen de se financer serait par l’intermédiaire de programmes de financements publiques, mais ici leurs objectifs sont plus macroéconomiques que microéconomiques, avec pour but d’agir sur des agrégats tels que l’emploi ou le développement de zones prioritaires sans réel ciblage sur les entreprises innovantes ayant déjà un certain niveau de développement. Le récent FSI mis en place en France, avec ses 6 milliards d’euros de fonds (devant être portés à 20 milliards) qui doit soutenir les entreprises « stratégiques » en France n’a pour le moment investi que dans le capital de Gemalto dans le secteur des nouvelles technologies. Or quoi de plus stratégique que ce secteur ? Les Etats-Unis se demandent s’ils doivent laisser une entreprise française (en l’occurrence Safran) développer le nouveau système de reconnaissance d’empreintes digitales du FBI, nous pouvons nous réjouir qu’une entreprise française ait remporté un tel contrat, mais combien d’autres contrats stratégiques l’Etat français ou l’UE doivent-ils, eux, offrir aux entreprises étrangères par manque de soutien envers leurs propres entreprises ? Ce n’est que par un financement paneuropéen et l’établissement de sociétés d’investissement d’envergure que les entreprises innovantes européennes de taille moyenne pourront se développer et atteindre la taille critique leur permettant de s’imposer à l’international.

Seul un marché réellement intégré d’un point de vue politique (fiscalité, droit des sociétés, etc.) et offrant des outils de développement à l’échelle du continent permettra aux sociétés innovantes de taille moyenne de grandir et de franchir le dernier palier afin de devenir des acteurs de poids à l’échelle mondiale.


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