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1ère réunion du UE-US Trade & Tech Council : Yann Lechelle, DG de Scaleway, appelle à une Europe technologique forte

septembre 2021 par Yann Lechelle, CEO de Scaleway

Cette semaine se tiendra finalement à Pittsburgh la première réunion du nouveau Trade and Technology Council (Conseil du commerce et des technologies) entre la Commission européenne et les autorités américaines. Prévue de longue date, cette réunion aura bien failli être reportée en raison des tensions récentes entre le gouvernement français et l’administration Biden, suite à l’annulation des contrats de Naval Group en Australie. Dans une économie numérique qui reste dominée par des acteurs américains et les valeurs de la Silicon Valley, mais bouleversée par de profondes mutations géopolitiques dues à la montée en puissance rapide de la Chine, Yann Lechelle, Directeur général de Scaleway, estime qu’une coopération transatlantique ouverte, franche et efficace est plus que jamais nécessaire - dans l’intérêt des deux rives de l’Atlantique.

Pour une déclaration d’interdépendance transatlantique : les Etats-Unis ont besoin d’une Europe forte technologiquement

Les Etats-Unis et l’Europe sont liés par une communauté de destin indéfectible, un système de valeurs communes, que l’Histoire a façonnés au gré des trois derniers siècles. Nos deux continents n’ont d’abord eu de cesse de s’inspirer mutuellement sur le plan philosophique et politique - que l’on se souvienne que c’est le siècle des Lumières européen qui a enfanté l’esprit audacieux des rédacteurs de la Constitution américaine, avant que le système américain ne devienne un modèle pour beaucoup en Europe, notamment popularisé par Tocqueville, ou encore Victor Hugo, parlant, de façon prophétique, de la nécessité de créer des "États-Unis d’Europe". À travers notre attachement commun à la démocratie, à l’Etat de droit, aux libertés individuelles comme à celle d’entreprendre, c’est une même vision du monde que nous partageons, fondamentalement.

D’une nation encore jeune et aux ambitions balbutiantes, les Etats-Unis sont devenus, au sortir du vingtième siècle, une hyper-puissance dominatrice sur la scène internationale. Une hégémonie qui s’érode fortement néanmoins, avec l’affirmation de la Chine sur le plan économique, commercial puis plus récemment, géopolitique. La chute de la part américaine dans le PIB mondial en témoigne : 23,8% du PIB mondial en 1999, contre 18% en 2018 ; le repli sur soi, ou "America first" de l’ère Trump, la fin de l’interventionnisme qui a présidé dans le courant des années 2000, sont d’autres signes révélateurs de ces profondes évolutions à l’œuvre. La prise de conscience de cette perte de puissance relative, côté américain, devrait avoir une profonde implication : miser sur la complémentarité entre alliés et mettre fin à une politique du cavalier seul, qui a largement régi la posture américaine sur le plan international depuis vingt ans. En d’autres termes, renouer avec l’esprit du Président Kennedy qui, en 1962, se disait prêt à « déclarer l’interdépendance » des États-Unis avec les Européens pour construire un partenariat « mutuellement bénéfique ».

Or, s’il y a un secteur qui se prêterait parfaitement à une telle déclaration d’interdépendance, et où le besoin d’un partenariat mutuellement bénéfique se fait vivement sentir, c’est bien le numérique. À la faveur de la crise sanitaire qui a accéléré la numérisation de nos sociétés et de nos économies, un constat cinglant s’est imposé à nous autres, Européens : celui d’une extrême dépendance à l’égard d’une poignée de géants de la tech californiens issus de la Silicon Valley - écosystème technologique savamment construit depuis les années 70 et soutenu à grands renforts d’argent public par le gouvernement américain.

Au-delà des effets préjudiciables en matière économique et de résilience induits par ces dynamiques d’oligopoles, sur lesquelles les régulateurs américains comme européens se penchent, à raison, de façon de plus en plus insistante, cette situation révèle surtout que notre univers numérique quotidien est gouverné par un système de valeurs dont nous avons longtemps peiné à comprendre les ressorts, aux antipodes des valeurs humanistes que nous portons en héritage sur notre continent. Le RGPD a d’ailleurs été la réponse réglementaire de l’Europe pour réaffirmer la protection de la vie privée des citoyens européens dans l’espace numérique. Les débats croissants sur les problématiques d’autonomie stratégique et de souveraineté numérique dans le champ réglementaire doivent également être bien compris par nos alliés américains. L’objectif pour l’Europe n’est évidemment pas de déclencher des hostilités outre-Atlantique. L’ambition est plutôt d’aboutir, sur des bases réciproques, à un sain rééquilibrage des rapports de marché actuels, qui brident la liberté d’entreprendre, la concurrence ouverte, équitable, une confiance large dans les nouvelles technologies numériques, et donc un environnement favorable à l’innovation et à la création de richesses.

La clé de la coopération, c’est la confiance : il est donc essentiel que des discussions régulières entre autorités européennes et américaines commencent rapidement, dans le cadre du Trade and Technology Council, pour mettre à plat nos positions sur de nombreux - et épineux - sujets, notamment : la définition de standards technologiques en ligne avec nos valeurs respectives, objectifs ambitieux partagés concernant l’empreinte environnementale du numérique, sécurisation de nos chaînes d’approvisionnement numériques, enjeux cyber, interopérabilité des technologies cloud, gouvernance, souveraineté juridique et circulation des données personnelles et industrielles, conditions des contrôles à l’export des technologies duales et logicielles, contrôle des investissements étrangers, réciprocité dans l’accès aux marchés publics pour les PME...

S’il est crucial de bâtir une coalition d’intérêts transatlantiques sur ces sujets structurants, il est également essentiel de ne pas confondre vitesse et précipitation, compromis et compromission : la volonté, légitime, de l’exécutif européen de réaliser des progrès rapidement avec ses interlocuteurs américains ne doit pas prendre le pas sur la promotion de nos valeurs européennes. Cela ne doit pas non plus entraver une défense assidue des intérêts économiques et industriels européens dans les domaines technologiques et numériques concernés, dont la dimension stratégique n’est plus à démontrer. Il s’agit donc, somme toute, d’un test grandeur nature pour faire passer l’ambition, réaffirmée à plusieurs reprises par la Présidente Ursula von der Leyen, d’une “Commission européenne géopolitique”, du discours à la réalité.


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