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Réseaux sociaux : « Je t’aime, moi non plus ! »

mars 2019 par le Général Watin-Augouard, fondateur du Forum International de la Cybersécurité (FIC)

Ce titre emprunté à Serge Gainsbourg et à Jane Birkin illustre bien
l’ambiguïté de nos relations avec les réseaux sociaux. Il met en évidence
l’intérêt que les internautes manifestent, en étant de plus en plus nombreux à
créer leur compte. En même temps, il traduit la crainte qu’ils éprouvent à
leur égard : la trop faible protection des données à caractère personnel (les
fuites régulières en témoignent) et la diffusion de contenus, dont le caractère
est illicite à plus d’un titre (terrorisme, haine, diffamation, etc.), alimentent
leur doute. Le titre souligne aussi le comportement dual des acteurs publics (Union
européenne, Etats, G7, etc.) qui oscillent entre une volonté de dialogue et de
coopération (groupes de contact, codes de bonne conduite, etc.) et une approche
plus régalienne, plus contraignante ; la loi allemande, la récente loi française
sur la manipulation de l’information et le projet de règlement européen sur les
contenus terroristes en sont l’expression.

La propagande de Daesch et les manipulations de l’information notamment liées aux
élections ont amplifié les inquiétudes. Dans une interview au Guardian [1], le 12
mars 2017, Sir Tim Berners Lee s’est inquiété de l’évolution du web qu’il
faut, selon lui, sauver, notamment parce qu’il est utilisé pour des actions de
désinformation qui peuvent avoir des fins politiques ou financières.

Le cyberespace a été longtemps considéré au travers des systèmes de traitement
automatisé de données. Les couches matérielles et logicielles font encore
l’objet de toutes les attentions, principalement au regard des malwares et de
leurs effets. Mais on découvre aujourd’hui l’importance croissante de la couche
sémantique : celle des données. Ces données sont la matière vive de la
transformation numérique pour leur valeur marchande, pour ce qu’elles permettent
de faire, mais aussi et surtout pour le message qu’elles portent, que ces données
soient structurées ou non.

Avec plus de quatre milliards d’internautes en 2020, un développement fulgurant
de la mobilité et des systèmes connectés, avec des services de communication en
ligne et des réseaux sociaux qui se développent et permettent une transmission
d’informations d’une viralité redoutable, nous voyons émerger la dimension
cognitive de l’espace numérique.

Avec elle se démultiplie la puissance du verbe, du discours. En 1970, Michel
Foucault disait dans sa leçon introductive au Collège de France : « je suppose
que dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée,
sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui
ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser
l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité
 ».

Depuis, le web, les réseaux sociaux ont profondément modifié nos modes
d’expression. La pensée foucaldienne peut-elle encore expliquer le discours, tant
la production, la sélection, la redistribution du discours échappent aujourd’hui
aux procédures traditionnelles ? La désignation du « juge des contenus » fait
débat. Les réseaux sociaux doivent-ils voir leur responsabilité accrue, au risque
d’être les régulateurs de la pensée ? Le juge judiciaire ou administratif
doit-il aller au-delà du « jugement de l’évidence » que l’on attend du juge
des référés ? Il est sans doute nécessaire de les associer davantage à
l’émergence d’un ordre public de la toile. Mais les principaux régulateurs
sont d’abord les citoyens. Qu’ils n’abandonnent pas leur responsabilité à
d’autres ! Plus que jamais, il faut enseigner le discernement, l’esprit critique
et, surtout, la bienveillance.


[1] Tim Berners-Lee, “I invented the web. Here are three things we need to change
to save it”, The Guardian, 12 mars 2017.


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